Entrevue avec
Jean-Marc De Jonghe

Compagnie
La Presse
Année
2011

Vers l’inconnu et plus loin encore .

Jean-Marc De Jonghe connaît deux modes de vie. Un jour, il part à l’aventure, enchaîne 12 heures de moto dans la canicule. Le lendemain, il retrouve avec plaisir ses « pantoufles » : son vin préféré, son resto de toujours, sa musique fétiche. Il chérit l’inconnu autant qu’il tient à ses habitudes.

Pas surprenant de le voir parmi les dirigeants d’une entreprise qui propose un rituel quotidien, mais qui doit constamment se réinventer pour continuer d’exister. Entrevue avec le vice-président, produits numériques, de La Presse.

Q. Jean-Marc, tu œuvres dans l’industrie des médias écrits depuis 15-20 ans. L’époque est loin d’être facile pour la presse. Pourquoi avoir choisi cette industrie ?

R. À cause de son importance ! Je crois profondément au 4e pouvoir, celui des médias. Ils ont le rôle de talonner nos institutions pour qu’elles jouent le leur correctement. Or, c’est ça qui est en danger depuis un certain temps. Si j’ai choisi l’industrie des médias de l’information, c’est pour y apporter ma contribution, pour tenter de lui donner de nouveaux outils pour qu’elle perdure.

Q. La crise des médias que tu évoques, d’où vient-elle ?

R. Dans les années 2000, tous les médias ont été attirés par les sirènes du web. Ils se sont mis à courir après les clics et les pages vues. Soudainement, ils ont gagné des auditoires massifs, mais moins engagés ! Avant, on pouvait consacrer 45 minutes à un média. Maintenant, on les consulte au gré de notre curiosité, d’une manière que je qualifie de « granulaire ».

Bref, les relations entre les médias et leurs utilisateurs sont devenues moins significatives. Les annonceurs ont fini par trouver cela moins intéressant. À partir de là, tout s’est effrité. Au­jourd’hui, l’enjeu pour les médias est d’offrir à nouveau une expé­rience, de susciter un mindset qui fera que leurs utilisateurs seront prêts à prendre leur temps pour consommer un contenu que les journalistes ont eux-mêmes passé du temps à développer.

Q. Tout un défi à notre époque !

R. C’est pour cela que je fais travailler une centaine de têtes ! Et le chiffre n’est pas gros considérant l’ampleur des problèmes auxquels on s’attaque.

Mais je me dis qu’avec de jeunes cerveaux qui planchent sur des applications, on a peut-être une chance de réussir. Contrairement à d’autres qui choisissent de reproduire le passé ou de s’y agripper.

Q. Justement, parlons de cette décision d’avenir prise par La Presse il y a quelques années : miser sur les produits numériques. Comment s’est amorcé ce virage ?

R. En 2010, on savait qu’on voulait développer une application mobile, que notre futur résidait là. On savait aussi qu’on était alors totalement incompétents pour y arriver seuls ! On a donc commencé par faire acte d’humilité, puis on s’est mis à la recherche d’une entreprise capable de nous aider à devenir des experts là-dedans.

Ce qu’on voulait, ce n’était pas un sous-traitant, mais un partenaire, avec un p majuscule, pouvant aussi bien nous accompagner que nous challenger.

Q. Comment l’avez-vous choisi ?

R. On avait des critères en tête : leadership dans le domaine de la mobilité, grande agilité, valeurs communes aux nôtres. Et on souhaitait s’associer à une entreprise québécoise, parce que c’était important qu’elle connaisse La Presse et son contexte.

Aussi, il n’était pas question de s’embarquer avec un gros gros joueur qui aurait beaucoup promis, mais surtout livré des factures ! En faisant un inventaire, on a identifié 6 ou 7 candidats. Au final, on a eu un coup de cœur pour Albert, le PDG de Mirego, et son équipe.

Q. Et avez-vous été challengés comme vous le souhaitiez ?

R. Je me souviens d’une soirée d’été où Simon Audet, Martin Gagnon et moi étions allés prendre un verre et manger à La Buvette chez Simone. Simon venait de saisir l’ampleur du projet capoté qu’on envisageait de réaliser, c’est-à-dire ce qui allait devenir La Presse+.

Je lui avais demandé ce qu’il en pensait et il m’avait répondu :
« Jean-Marc, je vais te dire la vérité. Ce que vous voulez faire, c’est une cathédrale. Il faudrait peut-être que vous appreniez à faire des cabanons ! » J’avais éclaté de rire. Il avait raison ! C’est pour ça qu’on a d’abord développé LP Hockey, LP Mots et LP Mobile. Il fallait commencer quelque part. Ces produits-là ont été des écoles pour apprendre à bâtir une application aussi grosse que La Presse+.

«
Jean-Marc, je vais te dire la vérité. Ce que vous voulez faire, c’est une cathédrale. 

Il faudrait peut-être que vous appreniez à faire des cabanons !
»


Simon Audet

Q. Visiblement, ça a cliqué entre Mirego, la jeune entreprise de techno, et La Presse, le quotidien centenaire. Pourquoi, selon toi ?

R. À cause de la concordance de nos valeurs. De la passion qui nous animait tous les deux. Comme nous, Mirego était motivée par l’objectif de lancer de beaux produits, de créer des applications que les utilisateurs auraient envie de lécher et qui les feraient tripper ! Alors oui, nous avions des profils différents, mais nos visions étaient fondamentalement compatibles.

Des fois, c’est l’fun que David et Goliath fassent équipe au lieu de se battre. Le petit peut dire au géant : « Heille, tu pourrais aller plus vite, être plus agile, te revirer de bord plus rapidement ».

À l’inverse, le géant peut montrer au petit la force qu’il peut lever, la grosseur du pas qu’il peut faire. C’était ça, la relation entre Mirego et La Presse : une relation gagnant-gagnant où chacun a appris de l’autre.

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